Le chant du compagnon errant

 

chant compagnon errant Rudolf Noureev Malher

Musique : Gustav Mahler – Chorégraphie : Maurice Béjart – Photo Jean Guizerix

Après avoir beaucoup dansé à Londres le grand répertoire classique et des créations d’Ashton et MacMillan, Rudolf Noureev aborde en 1967 le répertoire contemporain français, d’abord avec Roland Petit, puis avec Maurice Béjart.

Noureev commence en effet à vouloir travailler avec des compagnies contemporaines étrangères pour mieux s’imprégner du style d’un chorégraphe. Ainsi après avoir crée « Big Bertha » à New York avec les danseurs de Paul Taylor en 1970, Noureev se rend à Bruxelles pour danser ­en alternance avec Jorge Donn, «Le Sacre du Printemps» de Béjart et créer au même programme, en mars 1971 dans l’immense salle de Forest National, «Le Chant du Compagnon errant».

Inspiré du cycle de mélodies pour baryton et orchestre de Gustave Mahler (« Lieder eines fahrenden Gesellen ») Maurice Béjart imagine un duo en quatre séquences, qui réunit son meilleur danseur classique, Paolo Bortoluzzi, et Rudolf Noureev, l’un en maillot bordeaux, l’autre en blanc (ou noir, selon les soirs !). « Il s’agit, commente le chorégraphe « d’un compagnon errant comme ces jeunes apprentis du Moyen-Age qui allaient de ville en ville à la recherche de leur destinée, de leur maître : d’un étudiant romantique (Noureev) poursuivi par son destin (Bortoluzzi) et qui souffre ­pour employer les mots de Mahler – auteur également des paroles – de ce couteau dans la poitrine que constituent la lutte contre soi-même et la solitude« .

Les quatre chants (en français : «Quand ma bien aimée », « Ce matin j’ai traversé la prairie », « J’ai une lame brûlante dans mon sein » et « Les yeux bleus de ma bien-aimée » ) opposaient un Bortoluzzi virtuose léger et brillant, Destin implacable, et un Noureev félin, souple et tourmenté, héros romantique épris de liberté mais voué au malheur, dans un duo lyrique et expressif d¹une grande intensité. Le groupe « Noureev and Friends » a promené dans le monde entier ce pas deux d’une grande beauté et d’une profonde humanité, facile à présenter en raison de son dépouillement extrême. Outre l’incomparable Paolo Bortoluzzi, Rudolf Noureev eut de nombreux partenaires, notamment les Français Jean Guizerix et Charles Jude (au cours de nombreuses tournées à l’étranger jusqu’en 1991) et Patrick Armand avec le Ballet de Nancy au Théâtre des Champs Elysées en 1983.

Après avoir quitté avec tristesse la direction de l’Opéra de Paris, Noureev fut invité à participer à une «Carte Blanche à Jean Guizerix » le 23 octobre 1990 au Palais Garnier. Il y dansa les premier et quatrième chants avec son jeune rival Patrick Dupont, qui venait de lui succéder à la tête du Ballet de l’Opéra. La confrontation entre les deux danseurs, l’un rayonnant au sommet de sa gloire, l’autre astre déjà déclinant, fut particulièrement poignant. La dernière image de Noureev, entraîné de force par son Destin et se retournant pour un dernier adieux à la vie et au public, prit une dimension pathétique, car le danseur, comme ses amis, savait qu’il se produisait pour la dernière fois dans ce Théâtre qui fut sa Maison et qu’il avait tant aimé. L’expression désespérée de son visage, main vainement et douloureusement tendu vers la salle sur les ultimes mots « Tout est clair à nouveau, oui tout est clair, tout, l’amour et la peine, le monde et le rêve » , reste à jamais marquée dans le coeur de ceux qui assistèrent à cette représentation unique.