Rudolf Noureev au Kirov

Noureev Kirov ballet

A l’âge de 15 ans, Rudolf commença à faire de la figuration dans les spectacles du théâtre de la ville, ce qui lui rapporta un faible revenu et lui permit de prendre les classes avec la compagnie. Il progressa et put danser dans le corps de ballet, et lorsque la troupe fut invitée pour une tournée de dix jours à Moscou, il put en faire partie, remplaçant au pied levé un danseur blessé dans un solo de danse de caractère. Il n’en connaissait pas les pas, n’eut pas le temps de répéter et ce fut pour lui la première occasion de puiser dans sa mémoire prodigieuse où tout ce qu’il voyait était enregistré instantanément. C’est ce qui lui permit ultérieurement de remonter la plupart de ses productions. Il se blessa à Moscou, ce qui l’empêcha de danser, mais il se remit suffisamment pour passer une audition à l’école de danse du Bolchoï où on l’accepta. Rudolf Noureev décida pourtant de poursuivre ses efforts pour entrer à l’école de Léningrad. Ainsi, au lieu de rentrer à Oufa avec le reste de la troupe (qui lui offrait un contrat à plein temps), il dépensa l’argent qu’il avait gagné pour se rendre à Léningrad passer une audition. On l’accepta non sans lui faire le commentaire suivant :  » Soit vous serez un danseur extraordinaire soit le modèle des ratés – et plus probablement le modèle des ratés.  » Il savait qu’à 17 ans, son style était assez mal dégrossi et qu’il n’avait pas les qualifications de ses pairs entrés à l’école de danse sept ans plus tôt, mais il considéra cela comme un défi lui permettant d’acquérir les connaissances, la maîtrise et la compréhension de la danse, sans rien perdre de sa spontanéité, de sa personnalité, ni de son talent naturel.

Trois ans durant, il repoussa ses limites à l’extrême, répétant inlassablement les pas qui lui paraissaient difficiles entre les classes, animé d’une volonté farouche de rattraper et dépasser les autres. Cela ne l’empêcha pas de transgresser les règles qui lui paraissaient stupides ; par exemple, il assistait à toutes les représentations au Théâtre Kirov, bien que toute absence du dortoir entraînât des sanctions. Il supplia qu’on le fît entrer en huitième division (ayant été admis en sixième), craignant d’être appelé au service militaire avant d’avoir pu terminer ses études. On le lui accorda, mais cela ne fit qu’accroître sa réputation de personne difficile ; toutefois, cela lui permit de travailler avec un professeur d’exception, Alexandre Pouchkine.Pouchkine commença par ignorer son nouvel élève, puis, convaincu de sa détermination et de son immense capacité de travail, l’aida considérablement en s’occupant de lui et alla jusqu’à lui ouvrir son foyer.

Grâce à l’enseignement de Pouchkine, Noureev parvint en dernière division où il resta deux ans. Lors de la soirée de fins d’études, il dansa avec une ferveur et un éclat tels (on peut en juger d’après la version filmée du pas de deux du Corsaire datant de l’époque) que le Kirov et le Bolchoï lui offrirent un contrat. Comme on pouvait s’y attendre, il choisit le Kirov, et fit ses débuts dans Laurencia, aux côtés de la célèbre ballerine Natalia Doudinskaya, dont c’était l’un des rôles les plus remarquables. Ce ballet exigeait virtuosité et puissance dramatique et Noureev enregistra un énorme succès. Peu de temps après, il se blessa à la cheville, mais reparut en scène très vite contre l’avis d’un médecin qui lui avait prédit qu’il ne pourrait plus jamais danser. Toutefois, tout au long de sa carrière, il souffrit de cette cheville qui lui causa des problèmes tels qu’ils auraient dissuadé tout autre individu moins déterminé. Au cours de ses trois années passées au Kirov, il dansa une quinzaine de rôles (y compris les rôles-titres dans Don Quichotte, la Bayadère, la Belle au Bois Dormant et le Lac des Cygnes) qui vinrent s’ajouter à ceux qu’il avait dansés pendant ses années d’école, et il fut le partenaire de toutes les étoiles de la compagnie. Très rapidement, il eut un cercle d’admirateurs qui assistait à chacune de ses représentations. Ils admiraient sa passion de danser et ses interprétations hors des sentiers battus, la lecture très personnelle qu’il faisait de chaque ballet. Il demanda qu’on lui fit d’autres costumes. Les disputes avec ses professeurs et répétiteurs étaient fréquentes et il quittait parfois le plateau pour travailler seul en studio. Il se créa ainsi simultanément une réputation de mauvaises manières et de succès de plus en plus importants autour du danseur.

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