1989 – LA BELLE AU BOIS DORMANT

Ballet en trois actes et un prologue d’après le conte – de Charles Perrault – Musique : Piotr Ilyitch Tchaïkovski – Chorégraphie : Rudolf Noureev d’après Marius Petipa

Rudolf Noureev et la Belle au bois dormant

Quand il met en scène sa première Belle au bois dormant (dès 1966, à la Scala de Milan) Rudolf Noureev,tout en respectant l’original de Petipa, y introduit des notations personnelles.

« Quand je faisais mes premiers pas à Oufa, mon maître à danser – qui avait appartenu au Kirov – me disait toujours que La Belle au bois dormant était le « ballet des ballets ». Et j’en étais gourmand à l’avance. Le Kirov, plus tard, m’a fait découvrir la splendeur du festin.

La Belle au bois dormant de Tchaikovski et de Marius Petipa représente en effet l’apogée du ballet classique : la danse s’affirme alors comme art majeur. Et cela constitue un événement historique : après La Belle, le ballet a pu attirer à lui les plus grands compositeurs qui n’ont pas hésité à travailler avec les chorégraphes.

Je crois que chaque danseur devrait prier le matin devant trois icônes : Tchaikovski – Dieu le Père, Prokoviev – le Fils, et Stravinski – le Saint-Esprit. Ce sont les trois musiciens qui ont donné naissance aux oeuvres les plus importantes et les plus audacieuses du répertoire du ballet.

Aujourd’hui, La Belle demeure pour moi l’accomplissement parfait de la danse symphonique. Elle exige du chorégraphe de trouver l’harmonie avec la partition de Tchaikovski. Avec La Belle, il ne s’agit pas de créer un événement sans lendemain, mais de produire un spectacle durable, qui maintienne l’excellence d’une compagnie. » Rudolf Noureev (propos recueillis en 1989).


La Belle au bois dormant par operadeparis

NOUREEV, CHOREGRAPHE DE « LA BELLE » : 4 VERSIONS

Le royaume de Florestan n’est pas une fantaisie bon enfant, mais une Cour avec son étiquette, ses rituels où l’on sent la lourdeur du pouvoir. La féerie gentille du conte cède la place à une fable réaliste, où des forces antagonistes (Carabosse et la Fée des Lilas) se disputent le sort de deux jeunes gens.

Carabosse apparaît même sous les traits d’une femme sophistiquée (qui tire son arme – l’aiguille fatale pour Aurore – du chignon de sa perruque), tandis que la Fée des Lilas joue les jeunes aristocrates libérales.

Cette version – présentée en 1966 à la Scala de Milan, dansée par Carla Fracci et Noureev lui-même -sera ensuite remontée au Ballet National du Canada en 1972 (avec Véronica Tennant), toujours dans des décors et costumes de Nicholas Giogiadis. Noureev y donne notamment un rôle plus élaboré au Prince, mais garde la chorégraphie de Petipa pour les variations dévolues aux danseuses.

Rudolf Noureev remontera encore La Belle au London Festival Ballet en 1975 (avec Eva Evdokimova et Patricia Ruanne, en alternance) et pour l’Opéra de Vienne en 1980. Enfin pour l’Opéra de Paris en 1989.

Le ballet La Belle au bois dormant fut créé le 15 janvier 1890 (le 3 janvier selon le calendrier russe) au Théâtre Mariinski (Marie) de Saint-Pétersbourg – premier nom du Théâtre Kirov de Leningrad.
Il était l’œuvre conjuguée du chorégraphe Marius Petipa et du compositeur Piotr Ilyitch Tchaïkovski.
Le directeur des Théâtres Impériaux de Russie d’alors – Ivan Alexandrovitch Vsevolojski – plutôt franchophile (à Saint Petersbourg, au XIXè siècle, on parlait assez couramment le français, et la culture française y était très prisée) avait eu le projet de produire un grand ballet dans le goût fastueux de Versailles.
Il proposa le sujet, tiré d’un conte de fées écrit par Charles Perrault : La belle au bois dormant (1697), Vsevolojski en commanda la musique à Tchaikovski, compositeur aimé et reconnu, mais ont le premier essai pour le ballet (Le Lac des cygnes donné à Moscou en 1877) n’avait pas connu le succès, pour des raisons chorégraphiques.
Et il en confia la réalisation chorégraphique au français installé en Russie depuis 1847, et devenu le maître incontesté du Ballet Impérial.
Petipa – qui, jusqu’à présent n’avait travaillé qu’avec des compositeurs confectionnant des musiques accompagnant la danse (Ludwig Minkus, auteur des musiques de Don Quichotte – 1869 et de La Bayadère – 1877, ou Riccardo Drigo, arrangeur des reprises du Corsaire et de La Esmeralda) – peut enfin, avec Tchaikovski, concrétiser son rêve d’un ballet « symphonique », où la danse puisse être portée et transcendée par la musique.

Un chef d’œuvre que l’Europe de l’Ouest découvre tardivement !

C’est seulement en 1921 que les spectateurs européens découvrent La Belle au bois dormant : à Londres, à l’Alhambra Theatre, les «Ballets Russes » de Serge Diaghilev présentent « The Sleeping Princess ». Et c’est la première fois que la version intégrale de ce ballet est dansée hors de Russie.

La chorégraphie de Petipa, conservée dans la notation Stepanov, a été remontée par Nicolas Sergueev, le régisseur du théâtre Mariinski ; Bronislava Nijinska (la sœur de Nijinski, également danseuse et chorégraphe) règle quelques enchaînements et supervise le tout (elle ajoute notamment, dans le divertissement de l’Acte III les danses «arabe» et «chinoise» extraites de Casse-Noisette).
Les décors et costumes, somptueux, ont été conçus par Léon Bakst.
Les musiques de la variation d’Aurore (la vision) à l’Acte II et l’entracte symphonique («panorama») à la fin de ce même acte, dont le matériel musical parvenu en Europe ne comportait que la partition pour piano, sont orchestrées par Stravinski.

Olga Spessivtseva est Aurore, Pierre Vladimirov, le Prince. Lydia Lopokova et Bronislava Nijinska alternent dans la Fée des Lilas. Stanislav Idzikowski se montre un brillant Oiseau bleu. Carlotta Brianza, qui avait créé le rôle-titre de La Belle en 1890 à Saint Pétersbourg incarne maintenant Carabosse !

LA NOTATION STEPANOV

Cette écriture de la danse – mise au point par Vladimir Stepanov dans les années 1890, et encore enseignée à l’Ecole Vaganova de Saint Petersbourg (Noureev comme Nijinski apprirent ce système de notation de la chorégraphie) – est une transposition analytique du mouvement traduit en signes, basés sur la notation musicale (elle est également composée de notes – blanches, noires, croches – inscrites sur une portée).

Le régisseur du Théâtre Mariinski, Nicolas Sergueev, utilisait ce système pour mémoriser les ballets au répertoire, dans les années 1900.
La plupart des ballets de Marius Petipa ont été transcrits avec ce procédé.

Après la révolution de 1917, Sergueev s’enfuit de Russie en emportant ses registres, aujourd’hui propriété de la Harvard Theatre Collection (Massachusetts/Etats-Unis).

C’est à partir de ces précieux documents que le Ballet Mariinski, soucieux de revenir aux sources de son patrimoine, a reconstitué « sa » Belle au bois dormant – 1890, dans la chorégraphie originale de Petipa, les décors et costumes étant reproduits d’après les originaux encore conservés ou les maquettes de la création : « première » de cette production le 30 avril 1999 à Saint-Pétersbourg. (Ce spectacle a été également présenté à New York en juin 1999 et à Londres en juillet/août 2000).

Il est intéressant de se rendre compte que cette « version authentique » – qui revit cent ans après sa création – ne paraît pas si différente des versions dansées aujourd’hui : elle n’est pas qu’une « curiosité » exhumée ou une attendrissante pièce de musée.

La structure du ballet et le découpage chorégraphique n’ont pas bougé (ni subi d’altérations postérieures, comme c’est le cas pour La Bayadère). La pantomime y est davantage présente, et les danseurs du Maryinski – par rapport aux danseurs des autres compagnies classiques d’aujourd’hui – semblent avoir particulièrement bien maîtrisé ce langage : les gestes mimés sont expressifs mais stylisés, ils ne cherchent pas à être « quotidiens », ni à faire « naturel », ou « comme au cinéma » ; ce sont des gestes codés, faits pour le théâtre, simples, sans emphase et cependant ni artificiels, ni vides de sens, car portés par les sentiments et les motivations des interprètes.

Sur le plan de la danse, les variations des ballerines sont les mêmes – à quelques détails près – ce qui prouverait que la transmission orale d’interprète à interprète ne déforme pas l’héritage : ni les pas, ni les intentions.

Seuls les danseurs masculins, dans cette version de 1890 sont peu servis : point de variations ni de danses d’ensemble. A part l’Oiseau bleu et le Chat, les garçons n’ont rien à danser. Même le prince n’a que peu de choses à faire : aussi les responsables du Ballet Mariinski (y compris le chorégraphe Sergueï Vikharev, auteur de la reconstitution) ont dû réintroduire la variation de la Chasse à l’acte II et celle du Mariage à l’acte III, telles que les versions modernes les présentent pour éviter frustration et déception chez les spectateurs.

L’on comprend mieux ainsi les révolutions successives qui se sont accomplies depuis 1900, pour ajouter des variations et des pas aux évolutions des garçons, pour revaloriser la danse masculine, afin de la faire « exister » dans les ballets classiques du XIXè siècle : Nijinski dans les années 1910-1920, Lifar dans les années 1930-1940, Tchaboukiani dans les années 1940-1950 et Noureev à partir des années 1960.

En savoir plus

La Belle au bois dormant – dans son intégralité – n’est entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris qu’en… 1974 ! (soit plus de 83 ans après sa création à Saint-Pétersbourg). Auparavant, seul le diverstissement du troisième acte, sous le titre « Le Mariage d’Aurore » avait été présenté au Palais Garnier (en 1922, par les « Ballets Russes » de Diaghilev – ensuite en 1932, puis en 1948, par Serge Lifar avec le Ballet de l’Opéra). La « première » de cette intégrale eut lieu le 31 décembre 1974, dans la version de la chorégraphe cubaine Alicia Alonso (décors et costumes de José Varona), avec Noëlla Pontois et Cyril Atanasoff dans les rôles principaux, Georges Piletta dans Carabosse et Patrice Bart dans l’Oiseau bleu. En 1982, Rosella Hightower – alors directrice de la danse à l’Opéra – présentera sa version conçue pour le vaste plateau du Palais des Congrès (décors et costumes de Bernard Daydé ; projections peintes par Serge Diakonoff). Lui succèdera la version de Rudolf Noureev, en 1989.

DESIRE OU FLORIMOND ? Dans les pays anglo-saxons, le prince Désiré se nomme Florimond.

Les différentes versions de la Belle au bois dormant

Versions de Rudolf Noureev

1966 – La Bella addormentata nel bosco
Ballet del Teatro alla Scala de Milan
Décors et costumes de Nicholas Georgiadis
Première le 22 septembre 1966 à la Scala de Milan
avec Carla Fracci et Rudolf Noureev.
(Nouvelle production en janvier 1994 – après la mort de Noureev – dans des décors et costumes de Franca Squarciapino – remontée par Patrice Bart et Patricia Ruanne, avec Viviana Durante et Manuel Legris)

1972 – The Sleeping Beauty
The National Ballet of Canada / Toronto
Décors et costumes de Nicholas Georgiadis.
Première le 1er septembre 1972 au National Arts Center d’Ottawa
Avec Veronica Tenant et Rudolf Noureev.

1975 – The Sleeping Beauty
London Festival Ballet
Décors et costumes de Nicholas Georgiadis
Première le 16 avril 1975 au London Coliseum
Avec Eva Evdokimova et Rudolf Noureev
(spectacle également présenté à Paris, en janvier 1976, au Palais des Sports, avec en alternance, Eva Evdokimova et Patricia Ruanne).

1980 – Dornröschen
Staatsopernballet de Vienne
Décors et costumes de Nicholas Georgiadis
Première le 15 Octobre 1980 à l’Opéra de Vienne
avec Gisela Cech et Rudolf Noureev.

1989 – La Belle au bois dormant
Ballet de l’Opéra de Paris
Décors et costumes de Nicholas Georgiadis
La « première » prévue le 17 mars (jour anniversaire des 51 ans de Rudolf) fut annulée par une grève et reportée au lendemain, 18 mars 1989 au Palais Garnier,
avec Elisabeth Maurin et Jean-Yves Lormeau (en matinée)
Elisabeth Platel et Manuel Legris (en soirée)
(Nouvelle production en janvier 1997, dans des décors d’Ezio Frigerio et des costumes de Franca Squarciapino – remontée par Patrice Bart et Patricia Ruanne à l’Opéra Bastille, avec Elisabeth Platel et Manuel Legris – A noter, Elisabeth Platel blessée au 1er acte, est remplacée par Karin Averty pour les actes II et III)

1992 – Dornröschen
Staatsopernballet de Berlin
Décors et costumes de Nicholas Georgiadis
Première le 21 février 1992 au Staatoper de Berlin
avec Steffi Scherzer et Raimondo Rebeck et Rudolf Noureev en Carabosse ! (pour cette seule représentation)

1999 – Princessa Ruusunen
Suomen Kansallisbaletti de Helsinki
Décors d’Anneli Qveflander
Costumes d’Erika Turunen
Ballet remonté par Patricia Ruanne
Première le 26 mars 1999 à l’Opéra d’Helsinki / Finlande

Les versions intégrales, présentées à Paris avant 1974, le furent par des compagnies autres que l’Opéra : l’International Ballet of the Marquis de Cuevas en 1960 (qui accueillera Rudolf Noureev, dès sa « défection » du Kirov l’année suivante), le Kirov de Leningrad en 1961 – justement – avec encore Noureev dans ses rangs, et le Ballet de l’Opéra de Marseille (dirigé par Rosella Hightower) en 1971.